Calysse

Vous pouvez choisir de lire le texte ou de l'écouter les yeux fermés, je vous le lis accompagnée par Automne Lajeat au violoncelle, hop cliquez sur le lien ici

Je suce des petits calissons 
Des calissons en forme de poisson
Pour nourrir mon petit chagrin
Je suce des petits calissons 
Des calissons en forme de poisson
Pour l’empêcher de pleurer 
Mon petit chagrin
Parce qu’il a faim 
Mon petit chagrin, il a faim
A force de boire le calice
Qu’il boit jusqu’à la lie le calice
Jusqu’au fond du creux de la brèche du ravin 
Où mes humiliations se nichent 
Mon petit chagrin
Mon petit chagrin obèse et chuintant
Mon petit chagrin qui a faim 

Alors je tasse je tasse 
Je tasse bien au fond 
Les petites confiseries pour mon petit chagrin
Les petits calissons 
Les petits calissons 
Faits de poudre d’amande et de confit de melon
Les petits calissons cuits à feu doux 
Et en forme de poisson
Mon petit chagrin obèse et lent 
Continue de pleurer au dedans 
Je lêche et je suce et je tasse 
Pour faire passer les avanies 
De mon petit chagrin 
Mais rien ne le fait taire 
Pas même les petits calissons 
Les calissons en forme de poisson

Alors je forme une petit boule 
Et je roule au dedans 
Je descends dans le ravin de mes peines 
Pour lui faire un câlin au petit chagrin
Je roule et je roule et je cherche et je cherche
Mais je ne trouve pas mon petit chagrin
Je ne tombe que sur ma petit agonie
Elle fait peur ma petite agonie 
Elle ne veut pas qu’on la console ma petite agonie 
Elle ne veut ni qu’on lui caresse les cheveux 
Ni qu’on la prenne dans les bras
Elle entend vivre de son propre mouvement ma petite agonie 
Elle continue son chemin dans les replis ma petite agonie 
J’essaye de la suivre plus profond ma petite agonie 
Elle m’entraîne plus loin dans l’abîme de la vexation ma petite agonie
Dans les sillons sanglants ma petite agonie 
Des tranchées dans la chair ma petite agonie 
De chaque côté des tranchées dans la chair 
Des soldats portant des casques se lancent des grenades
Ma petite agonie avance menaçante 
Mais ma petite agonie marche sur des obus et explose 
En lambeaux ma petite agonie 
En morceaux 
Ma petite agonie tapisse le couloir 
De mes ambitions massacrées et de mes envies tuées dans l’œuf 
Avant même d’être née  

Je continue d’avancer seule 
Dans les profondeurs abyssales de ma non-naissance 
Et je pioche je pioche pour récupérer les morceaux de mon destin
Je pioche ma pioche en guise de sceptre 
Et une lampe frontale en guise de diadème 
Je suis l’infante défunte 
Je suis la reine au calisson en forme de poisson dans la bouche 
Morte avant d’être née
La reine avortée 
En mille morceaux 
Mes mille morceaux de petites boules 
Au goût de calissons en forme de poisson 
Dévalent dans les plis de mon inaccompli
Déboulent dans les entrailles de mes origines
Mes mille morceaux et moi 
On descend plus profond dans l’ombilic
On se met à fouiller dans les plis 
A chercher partout à quel moment je suis née 
Par quel trou 
On se salit les doigts dans toutes les entailles 
Toutes les failles 
On y met les mains les bras la tête : “Qui suis je ? Où est mon cordon ?”
Les questions résonnent en écho dans les couloirs 
Et se collent aux parois 
On continue à glisser mes mille morceaux et moi 
Le long du couloir matriciel
J’entends tous mes flics 
Toutes mes voix intérieures 
Qui se mettent à gueuler 
Et à produire la loi
Celle qui interdit 
Celle qui réclame le respect 
Qui veut qu’on se mette à plat ventre 
A plat ventre
Mes mille morceaux et moi 
On continue à fouiller dans chaque recoin 
A palper chaque nodule
Chaque cellule malade
Ca crie et ca interdit partout 
Les flics sont armés et nombreux
Mes mille morceaux et moi 
On fore encore plus profond dans le tunnel
On explore chaque vagin, chaque cordon, on caresse 
Chaque entaille, chaque cicatrice
On remonte le cours de chaque crevasse
Chaque névrose, on embrasse 
Chaque mère
Chaque grand-mère
Chaque arrière grand-mère
Chaque arrière arrière grand-mère
Mes mille morceaux et moi on veut toutes 
Les prendre dans mes bras 
On veut les écouter, les comprendre 
Et mes mille morceaux et moi 
On veut surtout les soigner 
Les soigner toutes ces femmes de ma matrice
Pour qu’elles arrêtent de gueuler 
De faire la loi
Pour qu’enfin elles se reposent 
Et s’assoient calmement pour discuter 
Avec mes mille morceaux et moi

Je danse avec mes oncles morts
Et les jumeaux de mes frères morts-nés 
Dans la boue sanglante des sillons de l’amour abyssal 
De l’amour des mères sans fond 
Je prends dans mes bras leurs ovaires fatigués 
Je lèche leurs traumatismes
Je caresse leurs peurs tapies dans l’ombre
Et doucement, mes mères et moi, on se met à pleurer

Aurore Laloy, texte composé en fièvre dans la chambre d'Eléonore Lebidois, deux heures avant l'émission de radio "Hôtel Paradoxe" du 10 décembre 2011 avec Joujou, le groupe de poésie punk de Benjamin Colin & Agnès Pinaqui pour une thématique "Couloir(s)"